Kimono, yukata, haori, quelles différences ? Comment bien choisir son kimono ? Comment en prendre soin ?
Hannah Lafargue est la reine des chineuses de kimono. Je pourrais discuter pendant des heures avec elle. Elle a ouvert au printemps 2024 une charmante petite boutique / brocante japonaise dans le quartier de la Krutenau à Strasbourg. C’est un lieu fabuleux pour les amateurs de culture japonaise ! Elle propose dans sa boutique des kimono et autres vêtements traditionnels japonais de seconde main et des objets japonais d’occasion assez variés tels que de la vaisselle, des poupées kokeshi, des daruma et des accessoires (peignes, éventails, baguettes, …).
Attention, on a affaire à une vraie passionnée ! Que vous soyez un collectionneur chevronné ou simplement curieux d’en savoir plus sur cet emblème culturel qu’est le kimono, Hannah est la personne idéale pour vous guider.
1. Est-ce que tu te souviens de ton premier kimono ? Tu peux nous en parler ?
Il y a eu trois grandes étapes dans ma découverte du kimono :
- J’ai d’abord trouvé, enfant, un haori (veste traditionnelle) et des geta (chaussures traditionnelles) des années 60 au grenier. Sans doute rapportés d’un voyage au Japon par mon arrière-grand-père, la seule personne de ma famille à y avoir été. À cette période, j’étais absolument fascinée par le livre « Noriko, la petite japonaise » de Dominique Darbois. J’ai beaucoup rêvassé en portant et en observant ce haori, ces geta et ce livre.
- Puis, lycéenne, ma professeure de Japonais m’a rapporté du Japon mon premier yukata (« kimono » d’été informel en coton, portable à même la peau). Grâce à cette pièce, j’ai commencé à m’intéresser au kitsuke (l’art de porter un kimono, l’art de l’habillement) par le biais de forums internationaux. J’ai récemment vendu le yukata en question : il n’était plus à ma taille, sa couleur rose pâle et son motif de pivoines dans un esprit « teinture yûzen » ne me correspondaient plus, mais je lui suis reconnaissante de m’avoir ouvert les portes de cet univers passionnant !
- Enfin, étudiante (en 2008-2009), j’ai chiné sur Ebay mes premiers kimono de seconde main. Ils ont marqué le tout début de ma collectionnite, mes tout premiers shootings photos sur des modèles (des copines de prépa), et à partir de là je n’ai plus cessé de me renseigner sur les kimono, la manière de les mettre, leurs étoffes, etc.
Le fait de chiner depuis plus de quinze ans m’a permis d’acquérir certaines connaissances en autodidacte ! Notamment sur l’estimation de l’âge des pièces et l’appréciation de leur rareté et de leur originalité (NDLR : je confirme, elle sait à peu près tout sur à peu près tout, c’est très impressionnant).
2. Au Japon, à quelles occasions porte-t-on un kimono ?
Je ne pense pas qu’il y ait de bonne réponse à cette question, mais on pourrait la mettre en parallèle avec celle-ci : en France, à quelles occasions porte-t-on un chapeau ?
On parle parfois à tort du kimono comme d’un costume folklorique / historique (comme le costume alsacien, par exemple). mais en réalité celui-ci est toujours considéré comme un vêtement !
Il existe des kimono adaptés à toutes les situations de la vie (notamment quotidienne), et à toutes les saisons, et en théorie les occasions de les porter sont infinies ! En pratique, plusieurs générations après que le vêtement « à l’occidentale » s’est imposé au Japon pour la vie de tous les jours, une majorité de Japonais ne portent le kimono qu’une poignée de fois dans leur vie, à l’occasion de rites de passage : shichigosan (l’une des fêtes qui célèbrent les enfants), fête de la majorité, remise des diplômes, mariage … Les types de kimono qui correspondent à chacune de ces étapes de la vie sont immédiatement identifiables comme tels, et ne se prêtent que très rarement à être portés dans d’autres contextes : ils sont de ce fait plus souvent loués qu’achetés, ou bien revendus juste après.
Le port plus quotidien du kimono s’étant marginalisé, il est souvent associé à la pratique d’arts traditionnels (la cérémonie du thé notamment, ou l’art de l’habillement en lui-même, appelé kitsuke), mais la profusion de kimono de seconde main a également fait émerger des approches moins codifiées dans le port du vêtement, lui conférant un statut de courant de mode alternative.
Les trois approches coexistent, mais une chose est certaine : le kimono est un vêtement bien vivant !
3. Aujourd'hui, qu'est-ce qui fait qu'un kimono va attirer ton attention et te plaire ?
Mon critère numéro un n’est pas le plus funky, mais … c’est la taille ! Je sais que ce critère est rarement pris en compte par les vendeurs qui n’en portent pas eux-mêmes, d’autant plus que ce n’est pas si facile d’interpréter les dimensions. Mais je suis bien placée pour savoir qu’un kimono à sa taille est infiniment plus facile, rapide et confortable à mettre qu’un kimono trop petit, et que les tailles moyennes à grandes sont assez difficiles à trouver « par hasard ». Les dimensions sont donc vraiment ce que je regarde en priorité (en particulier la largeur). Je pourrais en parler davantage car je sais que beaucoup de gens croient, à tort, que les kimono sont « taille unique » … Il n’en est rien !
« Beaucoup de gens croient, à tort, que les kimono sont « taille unique » … il n’en est rien ! »
En principe, je cherche une certaine variété (de niveaux de formalité, de couleurs, de motifs…) et le fait de chiner des kimono depuis longtemps fait que je suis particulièrement attentive aux pièces « inhabituelles » : certaines couleurs, certains motifs, certaines étoffes sont plus difficiles à trouver que d’autres.
Cela étant, en définitive, je suis forcément influencée par mes propres goûts, et ça crée une forme de cohérence dans les pièces que je propose. Je suis particulièrement attirée par les pièces informelles avec des gros motifs assez graphiques et des couleurs vives et/ou très contrastées. J’en ai donc proportionnellement plus que des confrères ou consœurs qui seraient attiré(e)s par des pièces plus « subtiles ».
4. Il n'est pas toujours facile de distinguer les vrais kimono des kimono "attrape-touristes" . Tu nous donnes quelques conseils pour qu'on ne se fasse pas avoir ?
Ce qui me frappe, c’est la profusion de yukata attrape-touristes (parfois vendus méga chers en plus !). Etant donné que la fast fashion appelle « kimono » un peu tout et n’importe quoi, le terme « yukata » peut sembler (à tort) plus spécifique, donc plus rassurant.
Mais attention ! Le mot « yukata » est bien plus ambigu qu’il n’y paraît, car il peut désigner :
– une tenue d’été informelle portable en extérieur, par exemple pour les matsuri (les festivals et fêtes populaires au Japon) : c’est généralement ce qu’on recherche en parlant de yukata
– une robe de chambre fournie par les auberges traditionnelles pour déambuler dans les bâtiments, ou éventuellement dans la ville thermale le cas échéant
– un peignoir « japonisant » à destination de l’export et des voyageurs étrangers.
Si vous recherchez un yukata « classique », portable en extérieur, voici quelques caractéristiques qui sont mauvais signe (du plus facile au moins facile à repérer ) :
- la mention « made in Japan » en anglais, qui d’une façon générale permet de deviner que le produit est destiné aux touristes / à l’export.
- la présence de grues (l’oiseau), de doré, de petits motifs très complexes, etc. Au Japon, les motifs auspicieux sont associés aux occasions formelles ou à la période du nouvel an. Les yukata, à l’inverse, sont des vêtements très informels qui ne sont jamais portés pour de grandes occasions et dont l’unique objectif est d’être visuellement « rafraîchissants » (motifs de fleurs, fruits, eau courante, hirondelles, couleurs acidulées …). De plus, les motifs de yukata sont généralement plus gros que ceux des kimono informels.
- la présence d’une ceinture taillée dans la même étoffe que le yukata.
- les incongruités de coupe : si le dos est taillé dans une seule pièce au lieu de deux, et/ou dans le cas des pièces « féminines » si la longueur correspond davantage à celle d’une robe de chambre (grosso modo 1m30 …) qu’à celle d’une personne entière (grosso modo 1m60), ce n’est pas normal !
Si vous constatez ne serait-ce qu’une de ces caractéristiques, il faut a minima considérer que la pièce est réservée à un usage intérieur.
5. Le kimono est traditionnellement porté avec une ceinture appelée obi. Il me semble qu’en général elle n’est pas vendue avec le kimono, alors comment faire pour bien la choisir ?
De nombreux critères peuvent entrer en ligne de compte pour sélectionner le obi qu’on souhaite porter avec un kimono !
L’un des plus importants est en principe le niveau de formalité du obi (qui influe notamment sur sa forme), qui doit s’accorder à celui du kimono. Dans les grandes lignes, les hanhaba obi sont adaptés aux yukata et kimono informels, les nagoya obi aux kimono informels à semi-formels, les fukuro obi aux kimono formels … Il existe des subtilités au niveau du textile et des motifs.
Si on a l’intention de se rendre à un événement codifié il vaut mieux se renseigner au préalable sur la tenue la plus adaptée.
« Une bonne piste peut être de chercher une à plusieurs formes de contraste entre le kimono et le obi. »
Néanmoins !
En boutique, quel que soit le niveau de formalité du kimono choisi, j’ai tendance à recommander à mes client(e)s les obi de type hanhaba. En effet, contrairement aux autres types de obi (à l’exception du heko obi, encore plus informel et plutôt estival), ils n’exigent l’achat d’aucun accessoire supplémentaire pour être noués, ce qui me semble plus encourageant pour les personnes qui débutent.
En dehors des contextes formels et pour ne parler que des kimono doublés (qu’on porte à peu près d’octobre à mai, donc les 2/3 de l’année), la coordination est essentiellement une affaire subjective ! Mais une bonne piste peut être de chercher une à plusieurs formes de contraste entre le kimono et le obi :
- Contraste entre les étoffes : kimono tissé + obi teint, ou vice versa (cette question est un peu liée à celle de la formalité, car on considère d’une façon générale que les kimono tissés sont moins formels que les kimono teints, et à l’inverse que les obi teints sont moins formels que les obi tissés)
- Contraste entre les motifs :
- obi à motifs figuratifs + kimono à motifs abstraits … ou vice versa
- obi à gros motifs + kimono à petits motifs … ou vice versa
- Contraste entre les couleurs : couleur du obi piochée parmi les couleurs « mineures » du kimono ou sa doublure, couleur du obi complémentaire de celle du kimono … ou vice versa
Une chose est sûre : plus on possède de kimono et de obi, plus on peut s’amuser à combiner les pièces entre elles pour obtenir des coordinations différentes ! Et les possibilités sont encore plus variées lorsqu’on joue avec d’autres accessoires : haori (veste), obijime (corde utilisée pour fixer le obi), han-eri (col amovible) …
6. Peux-tu nous donner 3 conseils pour prendre soin de notre kimono ?
En France beaucoup de gens pensent que les kimono sont des sortes de robes de chambre portables à même la peau … Alors que c’est le meilleur moyen de tuer une pièce !
En réalité, à l’exception des yukata, les kimono se portent toujours par dessus une sous-couche (le juban, dont on voit apparaitre le col blanc sous celui du kimono).
À moins d’avoir la certitude absolue que le kimono est lavable (ce qui veut souvent dire « pièce récente en polyester »), il vaut mieux partir du principe qu’un kimono n’appréciera pas d’être nettoyé ou repassé, ce qui exige un certain nombre de précautions :
- Au moment de l’achat : choisir une pièce qui correspond à vos besoins réels. Si vous cherchez un vêtement d’intérieur type pyjama, regardez du côté des yukata ou des nemaki (qui ressemblent aux yukata mais sont plutôt utilisés comme vêtements de nuit). Si vous voulez un kimono mais que vous voulez absolument pouvoir le nettoyer, ne soyez pas fermé(e) à l’idée d’acheter une pièce robuste qui le permettra.
- À la maison : apprendre à le plier convenablement. C’est vraiment la meilleure manière de conserver vos kimono. Ne les mettez pas sur des cintres ! La méthode est très simple mais elle ne s’invente pas, je vous invite à taper « 着物のたたみ方 » (technique de pliage du kimono) dans votre moteur de recherche pour voir une démonstration sous forme de schéma ou tutoriel vidéo. Si le kimono a été roulé en boule par le passé et conserve des marques de plis tenaces, il est possible de le défroisser « à la vapeur » en le suspendant dans une salle de bain en cours d’utilisation.
- Au moment de porter le kimono : toujours porter une sous-couche. Ça peut-être un juban, mais rien n’empêche de porter d’autres vêtements : robe, col roulé, sweatshirt … très concrètement l’important est de ne pas transpirer dans le kimono ! Après l’avoir retiré : laisser le kimono s’aérer un petit peu (jamais au soleil) avant de le replier, afin que ne subsiste aucune humidité.
En cas de taches, il n’est pas forcément évident de sauver soi-même un kimono sans passer par des compagnies spécialisées au Japon, alors ayons les bons réflexes pour ménager le plus possible les pièces au quotidien !
On récapitule :
- On porte toujours quelque chose sous son kimono (sauf si c’est un yukata)
- On ne lave pas son kimono
- On ne le repasse pas
- On l’aère (mais pas au soleil) et on le plie correctement avant de le ranger
- On ne le met pas sur un cintre
7. J’aimerais beaucoup que tu nous expliques pourquoi tu as choisi pour ta boutique le nom « Tanpopo », qui signifie « pissenlit » en japonais. C’est original, ça change des sakura !
J’ai un truc avec les plantes vivaces, je crois, entre Pâquerette le Squelette (j’ai un squelette en plastique dont je tenais le blog mode), l’Atelier du Bain aux Plantes (atelier d’illustrateur-ice-s à Strasbourg) et maintenant Tanpopo (« pissenlit », donc) !
Même si on le trouve ça et là comme kamon (emblème familial), motif de kimono, de vaisselle laquée ou autre, le pissenlit est plutôt sous-représenté dans la culture japonaise comparé à de nombreuses autres fleurs ! Ce que j’apprécie avec cette fleur jaune vif et rustique, c’est qu’elle n’évoque pas spécialement le raffinement, mais plutôt la résilience (tout comme les objets de seconde main) et la diffusion (lorsqu’ils se transforment en boules blanches dont on souffle les graines), qui me parlent davantage.
Par ailleurs, « Tampopo » (avec un m, mais c’est la même chose : ce n’est qu’une question de choix de retranscription) est aussi le titre d’un film japonais à l’atmosphère délicieusement « shôwa retro » ; comme il est assez connu en France, beaucoup de clients pensent que le nom de ma boutique est un hommage spécifique au film ! Ce n’est pas spécialement le cas, mais le fait est que je l’aime beaucoup.
8. Quelle question penses-tu que j’aurais dû te poser pour mieux comprendre ton parcours ou ta démarche ? Et quelle serait ta réponse ?
J’ai assez envie de revenir sur la question des tailles car c’est vraiment un gros enjeu de mon travail.
Bien que certaines marques proposent du prêt à porter avec des tailles standardisées pour diminuer le coût des pièces (c’est souvent le cas des yukata ou des kimono en denim, par exemple), un kimono est généralement confectionné sur mesure !
De ce fait, les kimono d’occasion sont de tailles aussi variées que celles des personnes auxquelles elles ont appartenu. Étant donné que les Japonais d’antan étaient plus petits que nos contemporains, mais avaient également bien plus de kimono dans leur garde robe, le marché de l’occasion est saturé de petites (voir TOUTES PETITES) pièces.
Le problème, c’est que si on n’a jamais porté de kimono, on peut ne pas DU TOUT s’en rendre compte, voire même avoir l’illusion que « tout est trop grand » (spoiler alert : non) et se jeter sans le savoir sur des pièces riquiqui en les croyant parfaites pour soi.
Pour m’être longtemps acharnée à acheter des pièces d’avant-guerre ultra jolies mais également prévues pour des personnes dont le bassin avait manifestement la même circonférence que chacune de mes cuisses, je considère comme essentiel d’expliquer à mes client(e)s que :
- Je décourage fortement d’acheter un kimono trop large pour soi de plus d’un ou deux centimètres. D’une part parce que ce n’est pas l’idéal, d’autre part pour laisser autant de choix que possible aux personnes de grande taille !
- Les grandes tailles sont plus rares, certes, mais elles existent ! Beaucoup de gens partent du principe qu’un kimono n’est portable qu’à condition d’être petit(e) et menu(e) : il n’en est rien ! En revanche, sur le marché de l’occasion, on trouvera plus facilement des grandes tailles parmi les pièces les plus récentes, et plutôt du côté des kimono formels. Au delà de l’équivalent 52 environ, les difficultés s’accentuent du fait du format standard des rouleaux (tanmono) à partir desquels sont confectionnés les kimono, mais des solutions existent !
- Il n’est pas fondamentalement impossible de se revêtir d’un kimono trop petit si on en a vraiment envie : il existe d’innombrables manières de donner l’illusion qu’un kimono est plus long / plus large qu’il n’est en réalité, ou même de le porter de manière « créative ». Cela étant, il faut bien comprendre que plus on s’éloigne du port « classique » (d’après les critères actuels ! ), moins la tenue sera jugée adaptée à un contexte « traditionnel » et plus elle sera considérée comme appartenant au champ de la mode alternative.
- Oui, le kimono est un vêtement adaptable, mais porter un kimono à sa taille est cinq milliards de fois plus facile, plus rapide et plus confortable ! Si jamais vous avez du mal à trouver votre bonheur en boutique, je partagerai avec plaisir des ressources pour acheter par vous-même un kimono neuf, élargir une pièce existante ou en coudre une vous-même.
N’hésitez pas à passer un jour essayer un kimono en boutique !
Boutique : Tanpopo, 11 rue Sainte-Madeleine, à Strasbourg
Site internet : www.tanpopo.fr
Instagram : @tanpopo.fr
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