Laetitia Hébert est la spécialiste française des kokeshi, ces poupées japonaises traditionnelles ou créatives fabriquées en bois et peintes à la main. Je lui ai posé quelques questions pour en savoir plus sur cet artisanat remarquable. Bienvenue dans son univers fascinant !
1. Raconte-nous comment ta passion pour les poupées kokeshi a débuté et ce qui t'a séduit dans cet art japonais traditionnel.
Je connaissais les poupées kokeshi en arrivant au Japon (j’y suis restée 5 ans) – en tout cas l’idée qu’on s’en fait, de loin, souvent un peu caricaturale, avec la coupe au bol et les yeux allongés… et qui correspond plus ou moins aux kokeshi créatives. Mais j’ai vraiment été séduite en découvrant la partie la plus traditionnelle de cet artisanat. J’ai commencé à explorer ce nouveau centre d’intérêt via les livres que j’achetais sur place, et en faisant les brocantes… Puis je me suis décidée à aller voir les villages de production.
J’ai eu un sentiment extraordinaire en faisant mon premier voyage seule dans le Tohoku (région au nord-est de l’île de Honshu), à la rencontre des artisans. J’ai été particulièrement touchée par l’importance de la transmission au sein des familles, et par la fierté que les artisans ont à présenter et prolonger le travail de leur père, de leur grand-père etc.
2. Peux-tu nous parler du processus de création des kokeshi ?
Toutes les kokeshi sont faites en bois : un bois qu’il faut acheter ou abattre, dont il faut retirer l’écorce, qu’on laisse sécher,qu’on débite en morceaux, puis qu’on usine grossièrement. Le travail visible commence alors : le travail sur le tour à bois, pour former les pièces et en obtenir une surface le plus lisse possible ; le décor, peint à la main à l’encre, sans esquisse préalable ; puis l’assemblage, le passage à la cire pour créer une légère brillance, et enfin, la signature. Traditionnellement, tout est fait de la main de la même personne.
Les bois utilisés varient selon la région de production : le bois local est favorisé, généralement du cornouiller ou de l’érable. Mais les artisans ont aussi plaisir à utiliser des essences moins courantes comme le cerisier ou le poirier, avec une couleur plus foncée…
3. Il y a de nombreux styles de kokeshi. Quel est ton style favori ?
Il y a deux grandes familles de kokeshi : les traditionnelles et les créatives. Le terme « créative » rassemble une grande diversité de poupées, les frontières sont assez floues, cela va de la petite kokeshi bricolée à partir d’une pomme de pin jusqu’à la kokeshi ayant demandé plusieurs semaines de travail.
Chez les traditionnelles il y a eu rapidement une volonté de classification. On reconnaît habituellement 12 styles différents de kokeshi : Naruko, Togatta, Yajiro, Sakunami, Tsuchiyu, Nakanosawa, Zao-Takayu, Yamagata, Hijiori, Kijiyama, Tsugaru et Nanbu. Mon favori est le style Naruko. La production de ce style est restée très uniforme pendant de longues décennies, et j’aime beaucoup identifier les petites différences d’une famille à l’autre, d’un artisan à l’autre…
4. Tu proposes des poupées kokeshi dans ta boutique en ligne. Peux-tu nous expliquer comment tu les sélectionnes ?
Je travaille actuellement avec une vingtaine d’artisans. La liste s’allonge lorsque j’ai un coup de cœur pour une démarche ou un style particulier… Ensuite, je recherche le plus de références possibles du travail de chacun : images d’archives, publications dans des livres ou magazine, photos de collectionneurs, etc. Je choisis ce qui me paraît intéressant. C’est très personnel j’imagine !
Folkeshi existe depuis 8 ans et ma clientèle bouge, évolue, change… C’est sympa de reproposer certaines kokeshi des années passées, pour les présenter à ceux qui m’ont rejoint récemment. Parfois je demande aux artisans de reproduire une kokeshi faite par leur père ou leur ancien maître d’apprentissage. Je fais attention aussi à toujours proposer des nouveautés chez chacun, pour ne pas lasser les collectionneurs. Parfois je fais faire des modèles qui plairont moins immédiatement mais qui signifient quelque chose dans cet artisanat. J’aime aussi toujours avoir quelques kokeshi très traditionnelles, car c’est de là que tout est parti.
5. Tu as une importante collection de kokeshi. Si tu devais ne garder qu’une poupée, ce serait laquelle ?
J’en ai rangé une grande partie en début d’année, pour mieux mettre les autres en valeur. J’en ai beaucoup maintenant, je ne sais jamais si c’est plutôt 500 ou 600… Elle s’est principalement constituée au Japon, où j’ai eu beaucoup de plaisir à faire les brocantes, à visiter les musées de kokeshi, et à me rendre aux évènements dédiés aux collectionneur de ces poupées !
Les photos présentes dans cet article ne montrent qu’une petite portion de mes kokeshi – je les garde habituellement dans un endroit peu lumineux de ma maison, sous vitre, pour les protéger des rayons du soleil.
Le choix est difficile, mais si je ne pouvais en garder qu’une seule, mon choix serait sentimental. Ce serait une kokeshi de style Naruko, fabriquée lors la dernière année d’activité de mon artisan préféré, décédé maintenant : Ito Shoichi. Il s’agit de la 2e kokeshi en partant de la gauche – les trois autres kokeshi sont de lui également, j’en ai une douzaine au total. On voit que le trait tremblote, il a 88 ans quand il fait cette kokeshi. Ça me touche beaucoup.
6. Tu as écrit un livre sur les poupées kokeshi. Peux-tu nous expliquer comment ce projet a pris forme ?
Je crois que le projet a commencé dès que j’ai commencé à collectionner ! J’ai cherché autant que possible des informations fiables, datées, documentées sur les kokeshi et j’ai constaté assez vite que c’était un vrai challenge ! Donc de mon côté, pour comprendre cet objet qui me passionnait, j’ai accumulé des livres et des magazines, j’ai posé des questions… après quelques années, j’ai commencé à penser que je pourrais l’écrire. Après avoir lu beaucoup, discuté avec les artisans, et rassemblé une importante documentation en japonais, je me suis mise au travail. Ça s’est concrétisé grâce aux éditions Sully, qui ont édité « Kokeshi l’art des poupées japonaises ».
Il y a eu beaucoup d’étapes : l’élaboration de plan, la rédaction des quelques chapitres « phare » qui m’ont servis à présenter le projet, puis la documentation complémentaire, l’écriture complète, une étape encore de recherche pour répondre à des points restés flous, la relecture pour s’assurer que tout soit facile à suivre, l’organisation des photos : sélection des kokeshi pour illustrer chacun des chapitres, puis la rédaction des légendes, et l’élaboration du répertoire de signatures à la fin.
7. Parle nous de la suite. Quelles sont tes envies pour ta jolie entreprise ?
Il y a plusieurs artisans avec lesquels j’essaie de travailler depuis quelques temps déjà, j’espère que ça se concrétisera en 2024 ! Je me rends au Japon en fin d’année, avec l’intention de visiter la préfecture d’Aomori, où sont fabriquées les kokeshi de type Tsugaru, donc j’espère que ce sera possible de travailler avec certains artisans de là-bas. Et j’aimerais rencontrer à nouveau les collectionneurs de kokeshi, peut-être en organisant des moments de discussion ? C’est flou encore.
J’ai aussi commencé à écrire un peu, dans l’idée d’un second livre sur les kokeshi… mais je n’en suis encore qu’aux prémices.
8. Dernière question. Tu connais bien le Japon. Quels coins du pays nous conseilles-tu de découvrir ?
Je conseille chaleureusement de découvrir l’île d’Hokkaido ! Elle est tout au nord de l’archipel. Les températures y sont idéales l’été, il fait beaucoup moins lourd et humide que dans le reste du pays. J’y suis allée deux fois quinze jours, notre premier été sur place, puis notre dernier. Les paysages sont splendides, notamment autour du lac Ashi, ou à la pointe de Hakodate de nuit, ou bien en se rapprochant de Wakkanai… Hokkaido se prête bien au road-trip. La toute petite île de Rishiri, accessible en ferry, est chouette à faire à vélo. C’est le Japon rural, tranquille, fait de bric et de broc – celui que je préfère.
Pour en découvrir davantage sur les kokeshi grâce à Laetitia :
- Son Instagram : @folkeshi
- Son site internet : www.folkeshi.com
- Son livre (que j’adore) : Kokeshi L’art des poupées japonaises, éditions Sully
Partagez cet article sur Pinterest !